Une femme accompagne sa mère à l’hôpital et assiste à ses derniers jours, espérant en vain jusqu’au bout que quelque chose se dise, une parole d’amour. Cette attente déçue laisse la narratrice à la douleur de perdre ce qui n’a pas été. Restée seule, elle vide la maison de sa mère, explorant le passé, grappillant des traces, cherchant sa présence dans un vêtement, une photo, un poudrier, un jeton de casino, des gants noirs, un brin de muguet séché, de vieux patins à glace, ces choses qui demeurent quand la vie est partie, ces choses grâce auxquelles la narratrice, enfin, a accès à sa mère, et dont il est indispensable, néanmoins, qu’elle se débarrasse pour découvrir peu à peu un singulier sentiment de liberté. Le manque irréparable la conduira peut-être à une autre naissance, celle qu’elle-même s’accordera.
Un roman tout en émotion contenue. Une expérience intime, relatée avec pudeur. Un saisissant huis clos mère-fille. Des appels d’amour sans cesse déçus. Des réponses qui ne sont jamais les réponses espérées. Une mère indifférente, inaccessible, que la maladie puis la mort mettent enfin à portée de sa fille. Malgré la cruauté du propos, son cynisme quelquefois et sa lucidité, émane de ce récit une forme de tendresse. Car, paradoxalement, son ton est empreint d’un sentiment d’admiration pour le personnage radical et sans concessions de la mère. Cette mère qui se bat, avec ses moyens dérisoires – les mots croisés, la télévision –, jusqu’à la fin.

Ce n’est pas assez que tu sois morte. Il faut vider. Fouiller les tiroirs. Inspecter les étagères. Chaque matin, je me rends dans ta maison. Je reste jusqu’à la nuit. Boîte après boîte, classeur après classeur, je décime le passé.

Les Impressions Nouvelles, 2010
144 pages / 14,8×21 / ISBN978-2-87449-089-7
Couverture : © Dan Heller

Prix Marcel Thiry 2010
Prix des lycéens 2011 du « roman doux-amer »
Finaliste du Prix Emile Bernheim du roman 2010
Finaliste du Prix Rossel des Jeunes 2010

LECTEURS ET LECTRICES

J’ai lu votre manuscrit d’une traite. Rien à y changer. Il est beau, dans son implacabilité, son gouffre,  son absence de consolation. Il y a la figure de lutteuse d’une mère, cette dame « qui a tellement de mal à se laisser mourir », féroce de vie, d’égoïsme et quelque part admirable, les agents hospitaliers de la mort à la chaîne, le dérisoire des objets qui restent, à trier, les paires de chaussures. Au travers de la description concise, de la brutalité des notations se ressent une émotion, plus, une douleur, celle de l’incompréhensible, pourquoi cette « mère » a été ainsi, pourquoi je souffre, pourquoi c’est fini. Celle du temps, aussi, je pense à ce passage où vous calculez en heures le passage de la vie à la mort, des paroles au silence. Là aussi vous êtes dans le présent continu, comme dans Le Grand Menu, et c’est justifié. Je crois que c’est le texte de vous que je préfère.
Annie Ernaux, 13 mai 2008

J’ai retrouvé dans votre dernier livre la vraie, grande, Corinne, sans faiblesse, et pourtant blessée. Par la mort, la vie du matin, encore, le silence et les fils débranchés du soir. Je ne sais si vous percevez combien, d’un certain point de vue, vous rendez votre mère digne d’admiration, dans son vouloir vivre, gagner. Mais le titre est trompeur, car bien sûr c’est vous qu’elle assassine, vous qui la faites vivre, de livre en livre.
Annie Ernaux, 17 février 2010

J’ai été ému bien évidemment par le sujet du livre, ce ton d’absolue vérité, mais c’est surtout l’écriture qui m’a séduit, puissante, nerveuse, d’une précision redoutable (exquise, disent les médecins).
François Emmanuel, 14 mars 2010

Chère Corinne, quel beau texte. Après les livres de Simone de Beauvoir et d’Albert Cohen, le vôtre si intense et à la bonne distance. À la fois descriptif, clinique et pourtant infiniment tendre, avec des proximités retrouvées, des agacements qui disparaissent et se changent en complicités amusées. La figure de la mère reprend son indépendance et votre statut de fille sa juste place.
Jacqueline Aubenas, 21 mars 2010

Du plaisir à te lire, une sorte de gourmandise malgré l’austérité du sujet, sa verticalité […] Tu es là où tu dois être, sans dévier. Tu as le courage de porter le fer dans la plaie, de regarder avec lucidité. Le « Je marche » de la fin est toi, et tu vas continuer.
Caroline Lamarche, 19 février 2010

On sort grandi d’une telle lecture : c’est en tout cas ce que j’éprouve. Mais quel travail (sur soi, entre autres) pour parvenir à un tel résultat.
Jean-François Grégoire, 6 mars 2010

Très prenant, très épuré, quasi allégorique, avec ce face-à-face ultime qui se déroule comme si le reste du monde n’existait pas…
Daniel Laroche, 25 mars 2010

Un livre terrible, d’une cruauté implacable. Un témoignage qui vrille le cœur.
Anne-Marie Beckers, 9 février 2010

Très grand roman  psychologique. J’en suis encore glacée…
Macha Bongard, 6 avril 2010


Extraits de presse


Au nom de la mère, de la fille et de l’esprit frappeur. En trois sets, Corinne Hoex a joué la partie de l’enfance, de l’adolescence, de la vie adulte. Game over […] Rien ici d’inutile, une accumulation de faits économes, classés, répertoriés pour inventaire. Mais par-dessous, en contrebande, serpente la vie, l’humour de Corinne Hoex, sa chaleur, son intelligence, sa gourmandise […] Ce roman met en scène des personnages dignes de Danse de mort de Strindberg ou d’un Ingmar Bergman dont on aurait ôté les cris et les chuchotements. Ici, tout s’est joué en coulisses. […] Corinne Hoex entre, sur des patins, dans cette existence, elle relève la grâce d’une branche de magnolia contre la vitre, capte les gestes, les corps, l’espace infranchissable. L’émotion naît de ces ratés, du non-dit, et là seul est le sensible, dans le regard porté sur ce qui n’est pas, et dans l’excuse d’une fille d’être si peu appropriée à sa parentèle. Le dialogue à une voix, adressé à la disparue, met encore la mère au centre, sans relâche, il consigne, ne dit qu’à peine l’attente, enfin, un « nous » qui ne vient pas. 

Sophie Creuz, L’Écho, 12 juin 2010


Des mots. Secs. Nets. Rugueux. Qui montrent, appellent, interpellent. Des phrases cruelles, implacables. On est dans le trait sans bavure. Rien de trop. Juste l’essentiel. L’émotion est là, pourtant. Mais retenue. La nudité du propos ne parvient pas à écarter la violence des sentiments. Ceux que l’on tend. Ceux que l’on guette. Ceux que l’on tait ou a tus trop longtemps. C’est un livre terrible, troublant sous la glace et brûlant comme un alcool fort. On ne peut qu’en être ébranlé.

Monique Verdussen, La Libre, 29 mars 2010


Corinne Hoex possède la grâce d’un grand chef : elle fouette un sujet douloureux – l’agonie et la mort d’une mère – pour en faire une émulsion presque légère, tout en ciselant la langue avec maestria. On n’en attendait pas moins de l’auteure du Grand Menu. L’ensemble de son œuvre romanesque et poétique mérite bien trois toques. 

Myriam Berghe, Femmes d’aujourd’hui, 28 juillet 2010


Ce qui bouleverse dans ce roman, c’est l’absence de lyrisme, de romantisme, de pathos. L’écriture n’est jamais engrossée par un excès quelconque. Pas de graisse dans ce livre. De l’os, rien que de l’os. Le scalpel de l’écrivain légiste a gratté tout le superflu et n’a laissé que le quotidien, les gestes, les objets, les paroles, celles qui sont dites et celles qui ne le sont pas.

Jean-Claude Vantroyen, Le Soir, 26 mars 2010

On y retrouve les qualités d’écriture qui sont la marque de Corinne Hoex : l’extrême sobriété, la pudeur, la suggestion. […] C’est écrit comme un constat, sans le moindre commentaire. C’est impitoyable de justesse, de talent.

Henri Raczymow, Regards, avril 2010

Un roman dépouillé et dur présentant le portrait d’une mère à travers le deuil de sa fille. Et autant le dire d’emblée, au-delà de l’intérêt du propos, c’est véritablement l’écriture qui inscrit Corinne Hoex comme une des voix les plus percutantes de nos lettres belges : diamantaire et bouleversante. […] Encore une fois, comme dans ses deux précédents romans, Corinne Hoex explore magistralement la violence dans les rapports parents-enfants. Un livre dont la brièveté révèle un travail d’écriture de grand dépouillement pour arriver jusqu’à l’épure, celle de la plus précise sentence, celle qui fait résonner en nous son écho bouleversant. Car il faut lire le texte à voix haute pour en entendre toute la secouante force expressive.

Éric Brucher, Antipode, avril 2010

Corinne Hoex est un des vrais talents que compte la littérature belge d’aujourd’hui. Avec une plume acérée, elle traque, en peu de mots, l’univers familial dans toute sa complexité qu’elle convoque à table depuis son premier roman Le Grand Menu jusqu’au lit d’hôpital qui est le décor du dernier livre qui vient de paraître : Décidément je t’assassine (Impressions Nouvelles). Une mère qui ignore tout de l’affection communément acquise entre mère et fille rejette tous les gestes d’offrande de sa fille en même temps qu’elle exige sa présence. Une partition époustouflante sur la fidélité filiale et un réel bonheur de lecture.

Pascale Tison, Par Ouï-dire, 31 mars 2010

Le roman se partage en deux mouvements : l’un accompagne la mère dans l’hôpital jusqu’à l’agonie et la mort ; le second conduit la fille à explorer la maison de la défunte et à reconstituer la mémoire d’un amour filial impossible […] Avec l’efficacité sidérante de l’écriture elliptique dont Corinne Hoex est une orfèvre, le lecteur est saisi à la gorge et d’emblée placé au milieu de cet affrontement d’autant plus effroyable qu’il est muet sur l’essentiel […] Un très grand roman qui démontre, si besoin était, combien l’écriture peut aller jusqu’au plus intime, avec la force qui conduit le lecteur à une empathie totale avec les protagonistes de cette tragédie du silence.

Edmond Morrel, Espace Livres, 24 mars 2010

Le ton est fort. Âpre. Blessé. Il résonne haut, nous prend à la gorge, ne nous lâche plus. Tout se déverse, une fille parle des derniers jours de sa mère, tente de regarder en face ce qui fut et ce qui ne fut pas. Les traces du passé se traquent, se liquident et finissent dans des sacs poubelles. […] Un ouvrage sans concession (qui) dissèque l’enfance, compte les failles, les manques, chiffres et photos à l’appui, cris et colères mis en sourdine, le désespoir n’en jaillit que plus fort, Corinne Hoex n’use d’aucun effet de pathos et c’est ce qui rend son histoire tellement impressionnante. Pleurer n’est pas émouvoir, l’auteur le sait, et le ton implacable, presque détaché, est bien sa plus grande force. […] très beau roman, témoin d’une blessure sans appel.

Anne-Michèle Hamesse, Nos Lettres, mars 2010

Cette mère dans la lignée de Rose (La fille démantelée de Jacqueline Harpman), Madame Lepic (Poil de carotte de Jules Renard), Folcoche (Vipère au poing d’Hervé Bazin), nous fait voir combien il est difficile de se délivrer d’une relation faite de rendez-vous manqués même après la mort.

Sophie Duesberg, Kaïros, Bulletin de liaison trimestriel de l’Association Pluraliste de Soins palliatifs de la Région de Bruxelles Capitale ASBL, n°49, décembre, janvier, février 2012-2013

La mort de la mère est une épreuve fondatrice. Rien ne nous y prépare. Chaque geste est un apprentissage et chaque maladresse semble un assassinat. Apporter des fleurs au parfum capiteux. « Ce ne sont pas des fleurs pour une chambre de malade ! » Une plante en pot ? « De la terre dans ma chambre ! Évidemment, tu seras contente quand j’aurai le tétanos ! » Et les agrafes de l’emballage… Décidément, je t’assassine.
Cette culpabilité diffuse devant les situations les plus élémentaires entretient une tension permanente dans le livre. D’un côté, une mère autoritaire, volontaire, qui lutte contre la mort — « Tu arraches l’air. Tu pioches l’air comme un travailleur de force. » De l’autre, une fille qui n’a que sa bonne volonté à opposer à l’implacabilité des choses. D’un côté, une ancienne commerçante qui collectionne pour jouer au scrabble les mots « aux consonnes opulentes », aux lettres « chères » qui valent leur pesant de points. De l’autre, une romancière aux mots tout en délicatesse, aux images puissantes, aux nuances précises.
Un lent renversement de volonté s’effectue au rythme de l’abdication de l’une et de l’apprentissage de l’autre. Le point central est peut-être cette scène atroce où, devant choisir entre la machine (à respirer) ou la morphine (pour l’aider à mourir), la vieille dame ne peut prononcer que la syllabe « ine ». Priée de lever l’ambiguïté, elle parvient à articuler « mor ». Le roman (car il se présente comme tel) redescend alors lentement vers la délivrance, dans un processus de deuil patient. Un rêve libérateur, lorsque la maison maternelle est vendue, et une photo retrouvée dans un vieil album fonctionnent comme la rupture du cordon ombilical. Dans une réalité symbolique (le rêve, l’image), un lien est renoué avec la petite enfance : l’apprentissage de la marche se confond en un éclair avec celui d’une nouvelle vie, sans la main de la mère ; le mur de la maison s’efface devant l’inconnu. Un livre très fort, entre pudeur et impudeur, volonté et désarroi, qui boucle avec une grave sobriété le cercle de la vie.

Jean-Claude Bologne, Lectures récentes, 2010

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