Texte de Corinne Hoex
Estampe de Kikie Crêvecœur
L’enfance revisitée. Conjuguée au conditionnel présent.
Et soudain tout serait là. Recréé. Rendu.
À la fois familier et empli de mystère.
L’éternité troublante de nos sept ans.
Ce serait l’été. Sous la table d’osier. À l’ombre de la nappe. Dans l’herbe où court une araignée brillante et noire comme un œil. L’été sous cette table parmi les écheveaux de soie de ton ouvrage.
Ton premier point de croix. C’est là qu’il faut piquer.
MOT DE L’ÉDITEUR
L’attention portée au monde, aux choses, à la vie, à ce qui s’y révèle, à ce qui se dissimule, traverse chaque instant de ces poèmes en prose de Corinne Hoex. Les signes, les ombres, les murmures mêmes se font discrets. Tout s’offre au conditionnel : ce serait… Ce serait comme revisiter des moments précis de l’enfance, l’âge de la saisie, le temps de ces petits riens considérables, puisqu’ils offrent à chaque instant d’une époque de la vie révolue leur présent, et l’avenir qui dure encore, qui n’en finit pas de prolonger la mémoire secrète bien que chargée de ce qu’on pourrait désigner par le mot d’éternité. La vie évoquée ici est le renouvellement de ce qui a été vécu. Tout le contraire d’une simple nostalgie. Chaque instant est vu comme un récif, et un récitatif, sur lequel la saison, l’été en l’occurrence, jette sa lumière. Au point que quelque chose d’intemporel s’incarne dans le temporel. Le lecteur est emporté par le rythme de la phrase, par ce qui s’offre à lui de familier. Et il s’y reconnaît. L’auteure, elle, bouleverse notre rapport avec le temps : l’attention retrouvée, et la tension de la patience et de l’attente renouvelée. Il aura suffi d’ouvrir les yeux tout autour de soi pour être, enfant, bouleversé par l’expression trouvée, parole poétique qui cherche ici à en témoigner.
Pierre-Yves Soucy
Le Cormier, 2016
31 pages / 12,7×20,3 / ISBN978-2-87598-007-6
LECTEURS ET LECTRICES
Comme cette rainette est différente de tes autres livres ! quant à son ton et à sa musique. C’est si doux ! J’ai été, pour la première fois de ma vie, une petite fille, en te lisant !
Laurent Demoulin, 22 février 2016
Oui, vraiment parfait, lumineux, sourdement inquiétant par moments (l’oncle Armand). Tu as trouvé une forme simple et magique, avec ces « diptyques ». On « sent » la petite fille, on « sent » l’été, on « sent » l’écriture au fil de l’aiguille.
Caroline Lamarche, 3 mars 2016
Merci, chère Corinne, pour tes étés. Frais, profonds, pleins de bonnes fragrances proustiennes. Je ne sais quelle enfance tu as connue mais quelque chose, dans ton livre, me fait penser qu’elle n’a pas été perdue.
Michel Ducobu, 29 février 2016
Touchée par la pudeur et la mélancolie de L’été de la rainette, son lancinement achevé en déchirure.
Annie Ernaux, 27 juin 2016
Superbe ! Ah ! Corinne, comme tu écris ! Mais pourquoi a-t-on envie de pleurer quand c’est fini, tes petites merveilles douloureuses ?
Jacques Richard, 22 février 2016
Merci pour ce brin de nostalgie de ce que Baudelaire appelait, tellement à propos, « nos étés trop courts »…
Pierre Mertens, 8 avril 2016
Le conditionnel ludique qui est la clé de toutes les pages indiquerait qu’elles font retour vers l’en-deçà d’une frontière […] Et tout, l’effort, je veux dire le travail poétique, très beau, viendrait de dire des moments d’avant le langage, sinon de perception pure. On pense au Rimbaud de Enfance II ou de Matin, à cette clé perdue (et retrouvée) que vous pointez par la citation de Hardellet, et qui tient peut-être dans un autre rapport au langage. Mais non sans une ambiguïté — qui n’est pas pour rien dans l’attrait ou le mystère de ces pages.
François Lallier, 13 janvier 2021
Extraits de presse
La capacité de grandir, sans se couper du monde magique de l’enfance, n’est pas donnée à tout le monde. Corinne Hoex l’a et, si elle a commencé en littérature en soldant ses comptes d’enfance avec sa mère, elle en explore ici les images dorées d’un été tout en poésie. Elles sont un peu comme les messages qu’un enfant se glisse entre les livres, dans la maison de vacances où il revient d’année en année, pour retrouver plus tard ce qu’il ne sera plus jamais — hélas. Cet Été de la rainette est à découvrir page après page. Une au hasard : Ce serait l’été dans ce jardin. Voix sans corps ni visages. Voix lointaines. Enfouies dans la pénombre tiède. Une paresse que l’oreille laisse fondre. Bourdonnements d’abeilles parmi les roses.
Stève Polus, Wolvendael Magazine, n° 618, avril 2016
Le conditionnel est-il un mode ou un temps ? Le débat, loin d’être clos entre grammairiens et linguistes, pourrait trouver une ébauche de solution chez les poètes, en l’occurrence ici chez une poétesse. En effet, dans la plaquette L’Été de la rainette, qu’elle publie à l’enseigne du Cormier, Corinne Hoex ouvre tous ses textes par un énigmatique « Ce serait… ». Par là, un processus très subtil se réamorce dans l’esprit du lecteur, qui consiste à situer la scène dans laquelle il refait à chaque fois irruption entre l’imaginaire hypothétique et l’imparfait du souvenir évanescent.
Samia Hammami, Le Carnet et les Instants, 30 mars 2016 et Culture, Université de Liège, 2016
Comment mieux retisser la trame effilochée de la mémoire que par cette trouvaille syntaxique élémentaire ? « Ce serait l’été », et l’atmosphère se cristallise, l’air se charge de pollen et d’une lumière pas encore trop vive et déjà duveteuse […] et un décor se dessine, celui familier où évolue une gamine de sept ans […] Puis il y a les présences qui circulent autour, et se manifestent plutôt dans un registre sonore. Un chien aboyant dans une maison voisine, des roucoulements, des gazouillis, des « bourdonnements d’abeilles parmi les roses », les notes égrenées du « phonographe et du pays des rêves », des voix enfin qui vous bercent la conscience en y immisçant « une paresse que l’oreille laisse fondre » ou qui vous chatouillent, comme les blagues dont l’oncle Armand est intarissable.
Cet été-là, l’été de la rainette, entre la menace des chouettes et les ritournelles mnémotechniques des devoirs de vacances (joujoux bijoux etc.), il s’est passé quelque chose. Peut-être rien ou du moins pas grand-chose, mais qui a suffi à rompre la soie pourtant solide de l’enfance. Une petite fille s’est aventurée sur les cases d’un jeu de l’oie à dimension d’adulte, elle a remarqué que le ciel tout entier pouvait se refléter dans un verre de lunettes. Elle a décidé de ne plus se couper les ongles, et aussi qu’il « faudrait écouter. Écouter mieux cette tourterelle perchée dans l’arbre ».
Cet été-là, ce serait donc la plume à nouveau étrange et envoûtante de Corinne Hoex, optant pour un minimalisme qui n’est en rien serf de la facilité, mais de l’extrême délicatesse et de la pure sensibilité.
Ce serait l’été… C’est par ces mots que commence cette courte plaquette. Et l’on saisit vite que l’auteur recompose son enfance. Ce n’est plus : c’était l’été, comme le disent les enfants en jouant avec l’imparfait hypocoristique. En utilisant le conditionnel ou le futur du passé, la poétesse choisit le registre du rêve, du regret souriant. Mais la chose est tellement bien dite, avec des mots vifs et sensuels, des couleurs, des sons, des parfums, des pétales de dialogue que le lecteur s’y replonge avec délice, dans cette enfance bénie, que chacun voudrait retrouver intacte, entière, gorgée de promesses. Tout y est, au fil de ces quelques pages exquises et malicieuses, même les secrets de fourmis. Les menus plaisirs de nos sept ans, plus savoureux, plus verts, plus mûrs que tout ce que la vie nous offrira imparfaitement par la suite, sont disposés dans un gracieux désordre sur la table attentive du jardin, sous l’œil complice de la rainette. C’est qu’à cet âge proustien, l’enfant vit sa vie comme un livre d’images vivantes et que rien ne lui échappe. Il est à la fois acteur et lecteur, il est lui-même, sans vraiment le savoir. L’âge de raison ? L’âge de la plénitude plutôt, de l’innocence, au sens propre, qui ne se nuit pas à soi-même par le recul méfiant et l’analyse narcissique. Vie cousue décousue, nous chuchote la voix de Corinne Hoex, car il s’agit toujours, à cet âge insatiable, de faire, de défaire, de toucher à tout avec une curiosité avide, une imprudente frénésie, une franche fureur de vivre et de tendre le cou à la première fontaine venue. On parcourt ces charmantes et turbulentes pages en entendant le timbre printanier de Charles Trenet, en revoyant les scènes délicieuses filmées par Jaco Van Dormael dans les cités jardins de Watermael-Boitsfort, on boit véritablement du petit lait de trèfle à quatre feuilles, à l’ombre des peupliers, sous un azur à la Tytgat qui flotterait frais et bleu comme un foulard de lavande autour de notre tête. Et pour le lire et le relire encore, ce subtil cahier de petite fille modèle, faites comme l’oncle Armand, prenez le ciel dans vos verres de lunettes…
Michel Ducobu, Reflets Wallonie-Bruxelles, n°47, janvier-février-mars 2016 et site de l’AREAW, mars 2016
Chaque texte commence avec le conditionnel : « Ce serait ». Comme se raconte une histoire au passé. Comme les enfants jouent en s’inventant des aventures : « On dirait que… ». Comme si rien n’était sûr, la broderie, le point de croix, la sieste sous la table en osier. Comme l’enfance oubliée, perdue peut-être, retrouvée comme l’éternité. Un jardin, la visite dominicale, les sensations enfouies. Comme un album de photos, mais des photos pas prises, une image après l’autre, et les pages à tourner. Sept ans. Un été sous la table, quand un autre poète, Arthur Rimbaud, pendant un autre été, à sept ans, « était entêté / À se renfermer dans la fraîcheur des latrines ».
Marc Verhaverbeke (pseudo Onarretetout), main tenant, 13 avril 2016
Corinne Hoex propose une forme qui évoque le sonnet, sans rime, mais en deux temps, un long, un bref. Le premier paragraphe se nourrit du conditionnel qui l’ouvre. La ligne de conclusion n’a que rarement un verbe conjugué. On apprend le mot « rainette » quand elle apparaît entre les rainures du bois. Mais les secrets restent secrets. Et l’été, saison ou participe passé du verbe être, est passé. Et le fil s’est brisé.
Nous avons pu lire des recueils de Corinne Hoex à la tonalité âpre, sombre, grinçante (je songe par exemple à Celles d’avant ou, plus récemment, Les Mots arrachés). Rien de tel avec le dernier paru, L’Été de la rainette ; le poète remonte ici, dans des tons pastel, les traces de son enfance, plus précisément celles de l’été de ses sept ans, cherchant à retrouver un Fil brisé. Égaré au fond de ton oubli. S’appuyant sur l’image de la broderie dont elle tisse patiemment les écheveaux, elle évoque son premier point de croix : C’est là qu’il faut piquer. Tout, à travers ces poèmes, n’est que sensations, murmures et voix lointaines, taches de couleurs comme celles que laissent au réveil les rêves de la nuit. Fillette attentive à l’araignée qui court dans l’herbe, au chuchotement du vent et au parfum des peupliers, au bruit du seau en zinc sur le carrelage, elle s’avance dans l’été en une sorte de torpeur bienfaisante… Douceur de vivre, douceur de l’insouciance… Mais cet été ne semble pas tapissé que de fleurs délicates à l’odeur envoûtante, la petite fille aura goûté aussi les pissenlits trop jaunes aux pétales amers, mâché le lait âcre de leurs tiges. Quelle est la clef perdue de cet été, quel basculement cache-t-il, au cœur de l’enfance ? Patiemment, le poète remonte le fil, jamais n’en retrouve le bout (Fil par au-dessus par en dessous. Quand ressortira-t-il ?) – jamais, en tout cas, si découverte il y a, celle-ci n’est énoncée. Lequel recouvre l’autre, du réel ou du rêve ? Les contours demeurent flous, la porte ouverte sur le mystère… Impressionniste, Corinne Hoex introduit chaque poème par le conditionnel : Ce serait l’été… Elle ne sait pas, nous ne saurons pas non plus – qu’est-ce qui est vraiment vécu, quel est le chemin de nos pas, que pouvons-nous comprendre, reconstruire, recommencer peut-être ? Fillette, poète, elle danse, dans le brouillard, dans la lumière, elle danse.
Thierry-Pierre Clément, Le Non-Dit, n°112, juillet 2016
Un voile qui se soulève lentement sur les brumes de la mémoire. Nous les avions oubliés ces instants. Ils s’étaient simplement nonchalamment endormis… La curiosité d’un enfant suffira en faire resurgir les senteurs d’alors […] Curiosité qui vaut bien un vœu.
Willy Lefèvre, Les Plaisirs de Marc Page, 31 mars 2016
Voici un (court) livre délicat et délicieux qui a enchanté mon week-end […] Si vous avez envie de replonger en enfance, dans ces étés à la campagne, l’art de la broderie et les facéties de l’oncle Armand […], n’hésitez pas à lire derechef ce petit bijou de fraîcheur et de tendresse derrière lequel se cache peut-être un drame, peut-être.
Edith Soonckindt, Face Book et Lindekin, 18 avril 2016
Une phrase au conditionnel (Ce serait l’été) répétée sur plusieurs tons et plusieurs pages et qui ouvre tous les possibles, ainsi qu’une grande finesse dans la narration, font de cet ouvrage précieux un livre à lire et à relire (pour en saisir substance et subtilité), puis à racheter pour l’offrir. Une sonatine mélancolique dont la musique pas si innocente que cela pourrait bien vous accompagner longtemps…
Les ouvrages de Corinne Hoex nous proposent — et de plus en plus régulièrement pour notre plus grand délice — des rendez-vous avec une langue pure et ciselée, tissée de mots exacts, cousue de rondeurs sensuelles comme de pailles aigües, et qui, tels les ricochets de cailloux lisses, crée ses remous au fond de notre mémoire. L’Été de la rainette (Le Cormier) nous fait toucher l’éternité fugace de l’enfance, l’innocence bénie des sept ans, leurs instants radieux à la grâce parfaite, insignifiants et essentiels. Cette pelote qu’il faudrait démêler et dont les fils disent le premier point de croix de cette enfant attentive et sage, tapie sous la table d’osier du jardin, tandis que les pieds bavardent à côté de chaussures vides. Ils disent la torpeur de la sieste et le bourdonnement d’une abeille parmi les roses, les cheveux coupés en frange et la jupe à plis, les étagères de bois neuf ou le grand vent au-dehors quand tout s’envole, ou la voix de l’oncle Armand blagueur en cet été de la grenouille qui glisse sa tête verte entre les lames du volet – l’été de grands secrets chuchotés dans l’infime des jours et des choses. Les joies menues et curieuses d’une enfant dont la patience gronde, presque, dans l’eau noire d’une onde dormante. Car déjà perce l’inquiétude : quand ce serait l’été et qu’il faudrait tant qu’il ne cesse, intact à jamais. Si l’adulte se souvient, la poétesse retisse et rêve, s’adressant à l’enfant insouciante, reprisant ce temps suspendu qui s’effrite, temps qui pousse toute chose vers l’oubli, effiloche la soie solide de tes sept ans, rend les points de croix inutiles. Pur régal de cette trentaine de feuillets aux mots précieux, sertis dans l’espace blanc de la page méditative.
Eric Brucher, Antipode, 20 mars 2016
Sous la bannière épigraphique d’André Hardellet, ici convoqué pour une inventive recréation d’une définition de l’enfance (tirée de son répertoire : clef rouillée que cachent les buis, celle qui forcerait toutes les serrures in La Cité Montgol, poésie Gallimard), la poète Corinne Hoex rameute celle, lointaine, qui a déjà marqué nombre de ses livres romanesques […] À cette époque-là (je vous parle « d’un temps que les moins de soixante-dix ans ne peuvent pas connaître » !), la table est essentielle : on n’a pas le droit de la quitter. Alors, on « joue » comme on peut : et si on disait que ce serait l’été ? Comme tout enfant qui sommeille dans le poète adulte, l’anaphore « Ce serait l’été » dévide la pelote des poèmes. Corinne Hoex brode bien sûr, dans tous les sens du terme (réinventer l’enfance, tramer la toile de ses textes etc.), coud, mots et mailles, et le dé – qui protège le doigt — est d’argent, trop large pour la gamine. Vie cousue, décousue. L’enfance, chez elle, ce sont des voix sans corps ni visages. Et, comme, chez Hardellet, penchez-vous, lecteur, sur un puits et vous en recevrez, dit-il, toute la fraîcheur !, au visage.
Philippe Leuckx, Nos Lettres, n°18, mars 2016 et Terres de femmes, mars 2016
À la recherche d’un temps perdu. D’une grande subtilité, les vingt-trois textes très courts que Corinne Hoex a rassemblés dans L’Été de la rainette, un petit bijou de poésie pointilliste paru aux éditions Le Cormier à Bruxelles, commencent tous par : «Ce serait l’été», un incipit habile pour ces tentatives de retisser la toile d’un passé de petite fille enseveli dans les brumes de la mémoire et perdu dans les méandres d’un temps lointain.
Bernard Delcord, Lire est un plaisir, Homelit (Radio Nostalgie), Satiricon.be,
newsletter et site des Guides Delta, mars 2016
Sortes de souvenirs intrigants de précision comme si la personne adulte était en réalité, actuellement, l’enfant qu’elle n’avait pas été, ce que semble confirmer la répétition du conditionnel : Ce serait l’été pluvieux de la maison humide. L’été de la grenouille qui glisse sa tête verte entre les lames du volet. «Une rainette» dirait l’oncle Armand. Il faudrait faire un vœu. Subsiste cette impression d’être dans une enfance plus éloignée que celle de l’auteur, ce qui tend à dire que l’époque évoquée semble également atemporelle comme si on rendait vivante non seulement la clarté d’un tableau de Van Rysselberghe mais aussi tous ses portraits reconstitués pour lui en touches impressionnistes et pour Corinne en points de croix.
Patrick Devaux, Vocatif, avril 2016 et Nos Lettres, n°20, octobre 2016