Texte de Corinne Hoex
Estampes de Kikie Crêvecœur

L’espace d’un instant, affleure la présence d’un monde invisible. Des visages, des voix se dégagent de l’ombre. Des figures irréelles apparaissent en songe. D’énigmatiques visiteuses qui, à peine entrevues, toujours s’échappent hors de la chambre, laissant flotter l’énigme de cet instant de grâce. Les estampes de Kikie Crêvecœur ouvrent les portes du songe sur ce monde nocturne tout baigné de mystère.



un bruit léger de pas
elles viennent dans la nuit
depuis ce lieu perdu
les embrasser
les perdre




MOT DE L’ÉDITRICE
Parce que le monde de la nuit est fugace, il nous manque les mots pour en parler. C’est là que le poème intervient. Dans cet entre-deux, reflet de sensations, de moments évanouis sitôt perçus…  Peu importe ce que sont ces visiteuses, ces pensées, ces fantômes, elles sont différentes pour chacun, peuplant les nuits de leurs pas légers.
Le poème de Corinne Hoex se fait scansion, presque chanson, pour évoquer cette fragilité du songe.
Les images de Kikie Crêvecœur – des estampes rehaussées à l’encre – par petites touches sensibles nous emmènent dans un paysage nocturne où règnent apaisement et mystère.

Esperluète, 2018
24 pages / 20×27 / ISBN978-2-35984-105-3

L’APPROCHE DE L’ARTISTE

Publié en 2018, le recueil Elles viennent dans la nuit associe un poème de Corinne Hoex et des estampes de Kikie Crêvecœur. Cette fois, c’est l’écrivaine qui propose à l’artiste d’inventer des images destinées à exalter son texte : huit variations de cinq vers chacune conçues comme une litanie méditative suggérant la mystérieuse venue nocturne de celles (« elles ») dont on ne connaît le nom, que l’on accueille puis que l’on perd… « Elles viennent dans la nuit / un bruit léger de pas / les perdre / les perdre encore / les embrasser les perdre ». Surgies d’un oubli obscur, « elles » accèdent un instant à la lumière puis se fondent à nouveau dans l’océan de la nuit.
Dans ses estampes, Kikie Crêvecœur a parfaitement traduit ce lent et mélancolique passage de l’ombre à la lumière et de la lumière à la nuit. En un mouvement ascendant puis descendant culminant au centre du livre en une image dominée par la clarté, l’artiste a composé, à l’aide de linogravures ainsi que d’estampages de fragments de gommes, de petites lettres en caoutchouc et d’extrémités de porte-mines vides, un paysage cosmique suggérant tour à tour voûte céleste, monde stellaire, profondeur des nuits et surgissement des aurores.
Pierre-Jean Foulon, Kikie Crêvecœur entre les pages, Esperluète, 2020


Extraits de presse

Visages fantômes. Les visiteuses de la nuit viennent à nous. Que sont ces images, ces fantômes, ces visages, qui, aussitôt perçus, s’envolent dans la nuit ? La poésie, peut-être, peut rendre compte de la fugacité de ces apparitions. Corinne Hoex aligne des mots, fugaces eux aussi, comme une chanson qui nous poursuit et nous fascine. Kikie Crèvecœur crée des estampes qui emmènent dans un paysage de mystère et d’apaisement. Un très beau livre.

Jean-Claude VantroyenLe Soir, 25 mai 2019

Enveloppé dans l’écrin d’une très belle édition grand format (chez Esperluète), voici un dialogue sensible entre deux œuvres fortes, mises au service du mystère. Celui-ci ne nous quitte pas, en effet, tout au long de la lecture du poème de Corinne Hoex et de la contemplation des estampes de Kikie Crêvecœur. Estampes et poème s’accompagnent parfaitement dans la scansion langagière et visuelle qui nous porte vers cet ailleurs indéfini d’un rêve, sous forme de question à jamais sans réponse. Qui sont-elles, celles qui viennent dans la nuit ? […] Les estampes de Kikie Crêvecœur, certes, paraissent nous entraîner dans une des voies lactées dont elles ont le secret ; « elles » pourraient donc signifier les étoiles. Puisqu’elles viennent dans la nuit, ce n’est pas dénué de sens… Mais, leur nom/ comment leur nom, interroge Corinne Hoex. Elle écrit aussi qu’elles se détachent de l’oubli […] depuis ce lieu perdu ; à la fin du poème, elles semblent y retourner : elles viennent dans l’oubli. Les étoiles, la nuit, l’oubli, le souffle retenu aussi, la mémoire de la nuit… et nous voilà plongés dans un espace insaisissable, peut-être porteur de menaces mais en même temps (et c’est une sensation très étrange) qui rassure un autre espace, enfoui au plus profond de nous, auquel il paraît répondre. Un bruit léger de pas, écrit la poète (et c’est d’ailleurs le premier vers du poème), comme pour donner forme quasi humaine au mystère qui s’approche. L’être humain et le mystère partagent la même eau.
Le poème se développe en huit strophes de cinq vers chacune. Chaque strophe se détache en quelques caractères légers sur une immense page blanche, en regard de laquelle l’autre page est recouverte d’une estampe. Le poème joue sur la répétition : les mêmes vers, parfois à peine modifiés, sont rappelés de strophe en strophe. D’où la scansion que j’évoquais plus haut, une sorte de mélopée entêtante qui progresse en spirales. Mais voici le leitmotiv principal, celui qui nous ouvre au vertige : les embrasser les perdre […] les perdre/ les perdre encore/ les embrasser les perdre… Nous embrassons et nous perdons dans un même mouvement permanent de va-et-vient, de flux et de reflux, semble suggérer la poète. Ne peut-on voir là le propre de notre condition humaine, soumise aux marées d’une vaste respiration que nous ne contrôlons pas, qui nous dépasse infiniment et déclenche aussi au plus profond de nous la marche incessante de la mort et de la vie ?

Thierry-Pierre Clément, Le Journal des Poètes, 2-2019

Qui maintenant marche quelque part dans le monde/ Sans raison marche dans le monde/ Vient vers moi. Rilke
Un sonnet. De brièveté. Un de ces poèmes à forme fixe, du Moyen-Age ou de la Renaissance, avec ces vers qui reviennent, comme en écho d’une strophe à l’autre, d’un poème à l’autre. Virelai ou sarabande. Le temps a laissé son manteau… Nudité du ciel de nuit, nudité du temps, nudité de l’âme et du vent, dans leur solitude… Un lait d’étoiles… Une photo de Reeves… un brouillard d’étoiles… Diatomées… Brouillard ou bouillon… Et l’on rêve à des noms… Orion fleur de carotte…Bételgeuse…Antarès. Oui, comme un écho, lent à se faire, lent à se taire, mais qui revient, proche ou lointain, avec des sonorités étouffées. Et toutes les comparaisons, toutes les métaphores, se perdent dans des lointains qu’on ose à peine effleurer. Ici, les sonorités mêmes, par leur douceur, éloignent. Nombre de vides, d’élisions qui prêtent à rêver. Oui, cette musique lointaine, mais qui fait rêver aussi à d’autres plus éclatantes. Une voix. Corinne Hoex.

Joseph Bodson, Reflets Wallonie-Bruxelles, n°59, janvier-février-mars 2019, et site de l’AREAW, 31 janvier 2019

Corinne Hoex travaille les mots en orfèvre […], pose un climat et suggère […] ce qui touche au plus profond de nos rêves intimes[…] ces petits instants précieux qui s’assimilent à des pas feutrés et qui évoluent avec un bruit léger. Nés dans la capeline opaque des ténèbres, ils se détachent lentement de l’oubli pour prendre forme, le souffle retenu. Voilà des visages et des voix en train de se matérialiser dans l’ombre. Comment retenir les rêves à l’heure où ils s’apprêtent à mourir ? Figures irréelles, fugaces et fascinantes, elles apparaissent énigmatiques et entêtantes. Reflets de sensations tangibles et aussitôt évanouies.

Daniel Bastié, Bruxelles Culture, 15 février 2019

Dans l’ouvrage Elles viennent dans la nuit de la poète Corinne Hoex et de l’artiste Kikie Crêvecoeur, cinq vers sur chaque page entrent en résonance avec une estampe sur l’autre page. Davantage qu’un dialogue, il faudrait sans doute parler d’un diptyque : les poèmes se voient non véritablement illustrés par les estampes mais, eux-mêmes devenus empreintes fragiles (de par la retenue et la délicatesse qui sourd d’eux), ils sont embrassés et perdus à travers elles – et vice versa. Car il est essentiellement, dans cet ouvrage, question de les embrasser et de les perdre, ces elles que le lecteur ne peut ni ne veut clairement définir, pas davantage que la poète ou l’artiste ; la sensibilité est alors tout entière livrée au ténu, à l’insu, au gré du regard et de l’ouïe.
Ainsi, cinq vers reviennent d’une strophe à l’autre en changeant de place ; parfois, un vers nouveau fait irruption, fait inflexion, relance tel un souffle retenu ou un souffle de la nuit. Un seul élément immuable : chaque quintil s’achève sur ces deux verbes, les embrasser et les perdre. Un même mouvement semble à l’œuvre au sein des estampes : un bleu dense, essentiellement rond, se décline d’une estampe à l’autre, infléchit légèrement ses tons ou ses formes, en les détach[a]nt de l’oubli. Ces éléments concourent à faire de chaque poème et de chaque estampe un ensemble autonome tout en les reliant entre eux, offrant une consistance à l’ensemble de l’ouvrage d’où émane une puissante douceur. Si le lecteur approche parfois le mystère de ces poèmes-estampes, il est toujours invité, in fine, à l’effacement, au dessaisissement – où le geste du toucher qui initie l’embrassement s’achève dans la perte. Ainsi en va-t-il, parfois, de la poésie.
Cinq vers – une estampe : l’ouvrage Elles viennent dans la nuit semble construit comme une ritournelle, car sont repris, poétiquement, mélodiquement, les mêmes vers et le même bleu dense. L’ensemble forme alors un tout musical, ténu et retenu, à l’instar d’une seule nuit dans laquelle elles viennent, où tons et formes s’approchent en légèreté, pareils, sans doute, à [c]es pas, enfants de mon silence de Paul Valéry.
Le dialogue entre Corinne Hoex et Kikie Crêvecoeur offre un diptyque singulier. Leurs sensibilités respectives s’y concilient et s’y mêlent à merveille, s’embrassant et se perdant dans une nuit où, finalement, l’on ne pourrait que venir.

Charline Lambert, Le Carnet et les Instants, 21 novembre 2018

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