Texte de Corinne Hoex
Vignettes de Frank Vantournhout

Un livre bref, d’une grande densité, évoquant avec sobriété et sans pathos les dernières heures d’un être aimé prenant congé de l’existence, un ami, un peintre, Jo Delahaut, au cœur de son univers de couleurs et de formes, dans l’énigme de la création.
Les scansions graphiques des vignettes de Frank Vantournhout, en des carrés centrés au cœur des pages et découpés en quartiers noirs et gris, répondent en contre-jour à la rigueur du propos.

le noir
est dans tes narines
contre ta bouche
ouverte
le noir
dans tes poumons
le goudron
de la nuit
descendu
sur toi



MOT DE L’ÉDITEUR
Contre Jour est un livre bref, d’une économie de la parole d’autant plus étonnante que son auteur parvient à condenser en quelques mots tout un univers de sensations qui sont dans un premier temps construites autour de couleurs et de formes et où les lieux minimalement évoqués sont présents à la manière d’une énigme. C’est alors sur un tout autre plan que se découvre la profondeur de cette écriture poétique d’une grande sobriété. Ce sont les effets d’étrangeté que cette écriture porte, c’est le sentiment de vertige qu’elle produit chez le lecteur qui retiennent immédiatement l’attention. Comme s’il s’agissait de lever un secret auquel nous ne pourrons pas accéder, mais qui se présente sous les aspects d’une obsession poursuivie avec obstination. Et c’est tout autant l’évocation d’une création plastique qui agit comme un palimpseste, à travers les rythmes de la voix. Et c’est une interrogation plus large sur le destin de l’être qui se découvre à travers les gestes et les rêves approchés, une manière d’aller à l’essentiel de la condition humaine sans aucun pathos, mais avec une densité et une justesse qui entament le réel, ce à quoi nous sommes toujours confrontés.
Pierre-Yves Soucy

Le Cormier, 2009
64 pages / 16×16 / ISBN978-2-930231-60-0

Prix Delaby-Mourmaux 2010 de l’Association des Écrivains Belges de Langue Française
Finaliste du Prix Marcel Thiry 2009.

LECTEURS ET LECTRICES

Il y a longtemps, très longtemps, que je n’avais plus eu la joie d’éprouver, comme cela, ce qu’est pour moi le poétique. Vous nous le donnez dans la multiple évidence, qui est aussi bien celle de l’objet (format parfait comme souvent au Cormier) que des ponctuations graphiques, mais aussi — et surtout — de vos mots, haïkus balisant ce qui est aussi un récit. Vous avez déjà réussi, dans votre livre précédent, à tracer une silhouette du père forte quoiqu’en demi-teintes, mais ici… Et dès le premier texte… On y est, et l’on vous suit dans ce cheminement et cette souffrance.
Marc Quaghebeur, 19 avril 2009

Je ne suis pas souvent ému, là oui ! Tellement plus qu’un simple livre de poèmes, j’y ai lu une histoire, un dialogue très tendre à la tombée de la vie… Comme si au bout, tout au bout, dans le salon du dernier silence, mourir venait demander la main de la vie, et la nuit celle du jour. Je trouve très beau cet enlacement. D’ailleurs ton livre ne se ferme pas : il reste là, ouvert dans le clair-obscur. Comme une mémoire qui veille.
Antoine Wauters, 4 juin 2009

Tes poèmes, à nouveau, me bouleversent. Si peu de mots, pour dire si fort l’absence, la douleur, et cet amour en filigrane qui traverse toute ta poésie. Le grand art que tu as de saisir l’instantané, ce sont des micro-tableaux, d’une intensité incroyable… comme une bouche silencieuse et un regard qui dit tout.
Noémie Vainsel, 6 avril 2009

C’est d’une légèreté et d’une profondeur adorables (au sens religieux du terme). Tu te révèles telle qu’en toi-même, profonde et lumineuse et plongeant jour après jour dans l’ombre (des mots). Et le titre fait sens, car ces vers sont comme le contre-jour de ton œuvre, l’autre versant, secret, précieux. J’aime le mot « spirituel », car il peut vouloir dire qui a trait à l’âme, à la mystique, mais aussi : plein d’humour, de fantaisie, d’esprit. Et voilà ce que tu es, et pourquoi nous t’aimons.
Caroline Lamarche, 5 mars 2009



Traduction bulgare par Krassimir Kavaldjiev, revue Panorama, Union des traducteurs bulgares, n°5, 2011.

Reliure par Ghislaine Bureau, Québec. Catalogue de l’exposition Un habit pour les écrivains belges, Bibliotheca Wittockiana, mai-juin 2014


Extraits de presse

L’ombre lumineuse de Jo Delahaut veille en silence sur le dernier recueil de Corinne Hoex. On le sent, on le devine, attentif aux vibrations de l’inspiration, tapi à la dernière page, immensément présent dans les mots qu’il suscite chez le poète.

Anne-Michèle Hamesse, Nos Lettres, avril 2009

Corinne Hoex dans un livre en forme de carré parfait nous donne en quatre parties placées à l’enseigne d’un carré, l’approche d’un être, maître de la forme, de la couleur, du silence, de la lumière. Un signe suffit écrit ce maître dans la citation reprise en fin de la méditation poétique, silencieuse et affectueuse : maître de la modestie, être précieux, sage et bouddha s’effaçant dans le bleu infini […]
La poétesse nous confie un secret, celui du mystère de l’évidence, du silence que lui n’a jamais cessé de dire. Il rejoint l’aurore, suivi par la merveilleuse Corinne : tu touches / l’horizon / où se sont éloignés / les bâtisseurs / de cathédrales. Merci chère amie d’avoir confié à tes poèmes le souvenir d’un des hommes des plus exquis resté présent dans ma mémoire : Jo Delahaut.

Gaspard Hons, Le Mensuel Littéraire et Poétique, n°365, avril 2009

Quelque soixante pages prennent à bras-le-corps la mort de l’artiste Jo Delahaut. des lignes / pauvres / des lignes / nues / le mystère / de l’évidence. C’est l’homme aussi, le malade, l’ami que salue ici le poète, celui dont la grandeur démunie transparaît dans le moindre état du cœur et du corps.
L’art de la souvenance est pour Corinne Hoex le chemin qui va de l’être à l’être. Donnant racine à la poésie. Et sève à l’image.

Luc Norin, La Libre, 2 juin 2009

Corinne Hoex ne publie pas beaucoup, mais tout ce qu’elle publie est d’une qualité rare. Ici, chaque mot est soigneusement pesé, calculé, aussi bien quant à sa sonorité, à son sens, aux images qu’il évoque, que pour sa place dans la construction de la phrase, dans la structure du poème. C’est un travail de mosaïste, mais c’est une mosaïque à la lumière rare, aux matériaux rares, laissant la part belle à l’imagination du lecteur.

Joseph Bodson, Reflets Wallonie-Bruxelles, mai-juin 2009

Minimaliste, mais concrète et sensuelle, la poésie de Corinne Hoex touche par sa justesse et sa tendresse. Un art de la phrase simple, des thèmes intimes mais universels, une attention au grain du quotidien.  Corinne Hoex est l’auteur de trois romans, qui lui ont valu de nombreux prix et un beau succès critique. Mais elle est aussi poète. Elle a publié aux éditions du Cormier deux petits livres (Contre jour en 2009 et Juin en 2011) où se dessine une poésie tout à fait originale, et d’une grande qualité. Chaque livre possède un sujet propre et forme comme un seul poème, développé en brèves stances qui déroulent un propos homogène et progressif. Les deux livres témoignent d’un sens rare du regard et de l’expression. L’attention à l’autre et l’émotion ne passent ni par l’expansion rhétorique ou affective, ni par la soustraction.
Le premier livre, Contre jour (2009), s’adresse à un personnage planté d’emblée dans un décor : aujourd’hui / encore / tu es assis / devant la fenêtre / dos au jardin / à contre-jour. En quelques mots allusifs, Corinne Hoex induit en nous deux impressions inconscientes, que la suite du texte confirme : ce personnage est âgé, et c’est un peintre, qui ne peint plus que dans sa tête. Un peintre épris de couleurs, et qui, dos tourné au jour et aux lumières, fait face à l’obscurité : ton regard / scrute / le point / invisible / là où apparaît / la couleur / là où le noir / se troue… tu n’appartiens / qu’à ce bleu / qui te brûle. Tout le poème est la méditation attentive d’une femme de mots sur les sensations d’un homme du regard. Si les mots peuvent dire le regard, si la vue peut habiter le poème, c’est, comme nous le montre Corinne Hoex, dans la simplicité, la nudité de l’expression, plus dépouillée que minimaliste. Si le peintre observe la pluie, elle lui dit : « tu es / dans chaque goutte ». Puis l’adresse au peintre aborde l’acte même de peindre, fût-il mental : cette nuit / dans ta tête / tu as peint / une nouvelle toile. On ne s’avise pas tout de suite de l’ambiguïté des deux premiers vers de cet extrait. Affronter le noir est mourir : le noir / est dans tes narines / contre ta bouche / ouverte / le noir / dans tes poumonsle goudron / de la nuit / descendu / sur toi. Mais peindre est vivre : tu traces / une seule ligne / le cap / limpide / que tu suis. Et peinture et vie se confondent, dans une leçon que le poète énonce à peine, posément : tu consens / à disparaître / dans la couleur / la plus profondetu rejoins / l’aurore. Procédant par touches de noir, de blanc et de couleurs, cette poésie est limpide et lumineuse. Il ne faut pas glisser trop vite sur ces vers apparemment simples, et leur forte découpe : l’absence quasi totale de figures rhétoriques n’empêche pas, mais au contraire autorise, une poésie visuelle sans description, une poésie empathique sans pathos […] Il n’est pas si fréquent qu’un romancier – une romancière – atteigne une telle originalité et une telle unité poétiques, a fortiori quand sa diction paraît se distinguer si nettement du ton romanesque. Mais gageons qu’une expérience d’écriture a forcément nourri l’autre.

Gérald Purnelle, Culture, Université de Liège, 24 février 2012

Les poèmes de Corinne Hoex se distinguent par une extrême économie de moyens. Le titre de son nouveau recueil, Contre jour, souligne bien cet éclairage tel que la lumière frappe les objets du côté opposé à la direction dans laquelle on regarde. Cet éclairage tend à révéler un autre aspect des choses et des êtres, à en donner une compréhension nouvelle. Des vues, des aperçus, des jours, des ouvertures, voilà les formes sous lesquelles la poésie de Corinne Hoex perçoit les êtres et les choses. Comme un escalier, le poème se développe autour d’un espace vide. La construction et la respiration du poème sont conditionnées par les ouvertures que l’auteure aménage pour laisser passer le jour.
Tout comme la narratrice du Grand Menu n’a même pas droit à un prénom, les poèmes de Contre jour annoncent la couleur, le blanc / d’avant la couleur, cette couleur / souterraine / où germe / le blanc. La couleur de l’anonymat, celle de la dépersonnalisation. Paradoxalement, ce chiaroscuro tendant vers une monochromie savante fait fonction de révélateur. Teintée d’une profonde empathie et témoignant d’un sens aigu de l’observation, la poésie de Corinne Hoex, tout comme sa prose, explore les béances intérieures.

Henri-Floris Jespers, Bulletin de la Fondation Ça Ira, n° 38, juin 2009

Un mini-bouquin carré. Comme naguère, ses belles pages se découpent avant lecture ; pour le vrai, l’ultime bonheur de l’objet. Place, ensuite, à la forme, cette épure limpide que l’on pouvait déceler dans les précédents ouvrages de Corinne Hoex […] Nous voici donc à l’ère de la sobriété ultime, de l’économie du superflu. Au terme de cette aventure de 57 pages, Jo Delahaut résume mieux que quiconque le dessein artistique : « Pas un mot de trop. Pas une syllabe de plus. Juste un peu moins. Juste un peu trop peu. Un signe suffit ». On ne saurait mieux dire…

Guy Bernard, Passe-Partout-Édition Bravo Uccle, n°18, 29 avril 2009 et l’avenir.net, 21 avril 2009

C’est un petit opuscule mince presque carré, avec des pages non coupées, telles des mains soigneusement refermées sur un trésor […] L’on a coutume d’associer musique et poésie, sans doute par vague conscience de leur communion originelle. Ici le poème est vision – on entend moins le chant des vers qu’on ne les voit, dans l’espace de la page, dessiner par leur agencement des géométries élémentaires et rigoureuses, faisant de la sorte écho à l’image qu’ils tâchent de restituer. Un homme immobile assis dans un fauteuil. À contre-jour. Vision encore : on devine cet homme peintre. Mais un peintre qui peint à l’extrême limite de l’indessiné – cela ne représente rien / cela / ne représente pas. De l’image de l’homme on glisse vers les formes et, surtout, les couleurs. On quitte la représentation en arrivant là où, en effet, il n’est plus question de « représenter » ni de « figurer », ni par les mots ni par les lignes et les couleurs, mais d’exprimer un sens pur. Le silence rejoint le vide.
Je ne crois pas avoir jamais lu poème plus sobre, plus épuré – plus absolu – qui évoque de manière si limpide et si secrète à la fois la mort, l’image, le rapport à la création… le sens d’une présence au monde.   

Isabelle Roche, Terres Nykthes, 20 mars 2010

Ce recueil de poésie n’est pas le premier de Corinne Hoex et, encore une fois, un trouble étrange me prend, que j’ai déjà vécu avec cette poétesse, celui de me sentir complice de ce qu’elle nous dit. On est pris à son corps défendant au fil de la lecture dans cette écriture subtile où semble-t-il l’image a forgé les mots qui viennent se poser sur la page. C’est sensible, élégant et d’une plénitude qui nous touche. La profondeur du propos est là comme une évidence, qui nous saisit sans donner le sentiment de faire un effort. C’est beau comme une série de miniatures qui viendraient faire sens à celui qui les regarde […] Une évidence s’installe comme si tout était le dire de son propre vécu, car on a l’impression de voir tout ce qui est dit. Au sortir de ce recueil, on est enclin à la plénitude d’un moment partagé. On reste devant la couverture à méditer ce que l’on vient de vivre. Cela dure un bon moment puis on reprend la lecture depuis le début, c’est tellement bon : telle une gourmandise que l’on ne peut s’empêcher de goûter plus qu’à satiété.

Gilbert Desmée, Encres Vagabondes, 24 avril 2009

Depuis Le Grand Menu, on la connaît comme romancière. Peu la savaient poète. Dans une manière minimaliste qui sied au contre-jour, elle use du tu qui peut passer d’abord pour une pudeur à parler de soi, puis le pronom s’adresse manifestement à quelqu’un d’autre, un peintre […] on peut l’identifier comme du Jo Delahaut qui conclut à propos du travail d’écriture de Corinne Hoex, et nous reprendrons volontiers à notre compte cette conclusion qui nous paraît aussi la juste définition du minimalisme : Pas un mot de trop. / Pas une syllabe de plus. / Juste un peu moins. / Juste un peu trop peu. / Un signe suffit.

Francis Chenot, Revue de L’Arbre à Paroles, printemps 2009

D’une écriture particulière, suggestive, inspirée, sans aucune fioriture […] mot à mot, remettre l’artiste aimé en scène…

Marie Nicolaï, Nos Lettres, novembre 2010

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