Texte de Corinne Hoex
Gravures de Marie Boralevi

La blondeur. L’innocence offerte. L’état de grâce.
Le plaisir du saccage. Le goût de la blessure.
Le destin troublant, cruel, des petites proies charmantes et des pères séducteurs.
La prédation masculine dans sa meurtrière perversité.


J’étais belle.
Et surtout j’étais blonde.
Et jeune.
Et vierge.
Les yeux rêveurs des vierges.
Le visage offert au massacre.
Oh oui, le massacre !
La peau lacérée.
Le sang pour le Père.
Une ombre grenat jetée à ses pieds.

Tétras Lyre, 2019
64 pages / 22×22 / ISBN978-2-930685-39-7

LECTEURS ET LECTRICES

Votre livre est magnifique, d’une sombre beauté qui vient d’une alliance rare entre vos mots crucifiants et les illustrations. Je suis très touchée que vous ayez mis en exergue cette phrase-là de Mémoire de fille, que vous « justifiez » splendidement.
Annie Ernaux, 5 mars 2019

Texte remarquable, violent, ironique, énigmatique, où rôdent les légendes de saintes et la petite fille éternelle.
Caroline Lamarche, 18 février 2019

Ces textes dégagent une force qui laisse le lecteur pantelant […] J’ai pensé à Michaux dont j’avais eu à archiver un intrigant et violent poème aux Archives et Musée de la Littérature.
Jean Danhaive, 25 avril 2019

Quel texte à nouveau splendide, quoique terrible et terriblement dur ! J’admire ce travail d’amaigrissement textuel, de réduction jusqu’à cette épure qui ne met que plus vivement, et ici glacialement, en valeur cela qui ne peut se dire !
Eric Brucher, 28 avril 2019

On n’en ressort pas indemne, tant le martèlement de vos vers pénètre, déchire, hante.
Laurence Boudart, 27 mars 2019

La finesse, la puissance et la cruauté, qui donnent si bien à ta manière le tranchant que tu évoques, ne masquent pas la profonde générosité de ton écriture, elles l’illuminent.
Jacques Richard, 14 mars 2019

Extraits de presse

Le papillon et l’ogre. Dans le recueil poétique superbement illustré par Marie Boralevi, Corinne Hoex cisèle en des textes aussi percutants que concis un univers trouble gravitant autour de l’enfance, de la condition féminine. Sous la forme de comptines acérées, elle nous plonge dans la loi de la prédation masculine, dans le ballet de la blondeur enfantine et de son saccage. Les exergues d’Annie Ernaux et de Caroline Lamarche donnent le ton de cette éducation/déséducation sentimentale que l’auteure de Ma robe n’est pas froissée, Le Grand Menu, Le ravissement des femmes déplie en six scansions allant de l’état de grâce à la mise à mort de la nymphette. L’échiquier de la séduction féminine et de la destruction ne ménage aucune issue : toujours déjà écrite, l’histoire distille son chemin de croix, ses bagatelles pour un massacre. Avec une économie d’écriture qui libère les feux de la cruauté, Corinne Hoex taille le récit d’une immolation. Blondeur et beauté ont pour destin de se voir jetées en pâture à l’appétit des mâles. La Lolita de Nabokov croise l’ogre de la Petite Poucette. La petite pisseuse version Gainsbourg doit être rossée, brisée sur l’autel du Père. J’étais belle. / Et surtout j’étais blonde. / Et jeune. / Et vierge. / Les yeux rêveurs des vierges. / Le visage offert au massacre.
Au fil des scansions qui rythment le texte, les mâchoires de l’ogre se referment. Les phrases lapidaires, les parataxes de Corinne Hoex métaphorisent le dépeçage, l’offrande de la vierge dont la candeur luit comme une provocation insupportable appelant l’outrage. Alors le massacre. / Le massacre enfin. / Corrigée. Forcée. / Et jamais absoute. / Lustres. Porcelaines. Fourchettes d’argent. / Et jamais absoute.
Il est question de dressage du corps féminin, un dressage qui passe par la souillure, la profanation de la sainte. Les fiançailles sont rouge sang. Ursule/Saint Sébastien criblé de flèches, la fillette danse en sa chair meurtrie, réduite à l’état de marionnette offerte. Le finale du texte prend la forme d’une apothéose sacrificielle. Poussée à s’élancer dans la flamme pour le plaisir des prédateurs, la proie est immolée. Noctuelle, papillon blond, la fillette se retrouve crucifiée. Histoire de rapt, de mise à mort de la volupté, Et surtout j’étais blonde fait passer entre l’enfance et le monde qui l’entoure la lame de la dévastation. Comme si, entre « surtout » et « blonde », le « j’étais » du titre s’effondrait dans l’absence. Le scalpel faisant passer l’être à la trappe, ne reste que l’adverbe et l’adjectif de couleur. Les dessins en noir et blanc de Marie Boralevi jouent de ce climat entre ballade des chasseurs et contes cruels.

Véronique Bergen, Le Carnet et les Instants, 8 mars 2019

Là où écrit Corinne, la plume pique ! Très beau livre illustré par les dessins de Marie Boralevi, où il est question en quelques poèmes courts qui sont parfois ourlés de bribes de chansons, du sacrifice de la vierge, de la sainte, de l’adolescente de tous temps, blonde et fraîche de préférence, de l’offrande de la belle enfant aux appétits du mâle en mal de mariage, en manque donc de capture, d’enlèvement et de consommation sur l’autel des coutumes ancestrales. L’esclave pure et fragile va subir la transformation, l’instrumentalisation d’usage, l’inévitable diabolisation stratégique : sa blondeur est insupportable, son état de grâce devient un outrage, ses doigts ne seront plus experts qu’en effleurements, sa virginité s’offrira impudique comme un morceau de choix au milieu du banquet, ses pensées ne pourront qu’être troubles, son air quelque peu vicieux ; sa peau trop pâle de martyre choquera les convives, son genre Ursule attirera les flèches, le sang qui coule sous sa chemise, sa robe que soulève la balançoire aiguiseront forcément le regard…  Tous les ingrédients et les excitants y sont pour allumer les ardeurs des prédateurs, affûter les lames, les pointes des aiguilles afin de clouer avec volupté l’insecte sur la flamboyante tapisserie des noces…  L’alibi des hommes, c’est la grâce et les gestes fleuris des femmes, c’est toujours de leur faute si elles sont si attirantes et faites pour la conquête et la victoire rieuse et glorieuse du ravisseur.  La chose et la chanson sont joliment dites, avec toute l’élégante cruauté que sait y mettre Corinne au nom coupant et avec le charme des mots rares et riches qui rappelle parfois nos chanteuses du temps jadis, les Anne Sylvestre, les Brigitte Fontaine, et les troubadours de Malicorne qui savaient si bien jouer de leurs joyeux instruments pour célébrer le culte des filles de l’amour libre et de l’égalité galante entre les sexes désarmés…                          

Michel Ducobu, Reflets Wallonie-Bruxelles, n°59, janvier-février-mars 2019 et site de l’AREAW, mars 2019

J’ai dit naguère tout le mal possible de Corinne Hoex, romancière et poétesse, académicienne : « Corinne Hoex écrit comme on sabre, avec une rage froide et ce qu’il faut de saine jubilation». Styliste de haut parage, elle n’a pas sa pareille pour évoquer de façon cruelle non-dits et faux-semblants, illusions et mirages. Son dernier recueil de poèmes, Et surtout j’étais blonde, évoque, en peu de mots ô combien ciselés, les filles des beaux quartiers et celles des bas-fonds, les saintes-nitouches et les miséreuses, les princesses et les pouilleuses, toutes promises au massacre… Un regard acéré, ambigu au suprême.

Christopher Gérard, Quolibets, dans La Revue Générale, n°4, juin 2019

C’est un livre fort que Corinne Hoex nous confie, avec des interventions plastiques de Marie Boralevi qui entrent en juste résonance avec la thématique de son poème. Celle-ci s’avère brûlante puisqu’elle traite de la violence faite à une petite fille, viol/violence entrevue sous différents aspects dont rendent compte les six séquences rythmant le poème : J’étais belle./Cette blondeur insupportable./Cette candeur./Cette innocence./La fille du Père./En deçà du bien et du mal./Avant la faute.
L’écriture de Hoex se fait haletante, via des vers courts à la cadence rapide, la forme épousant parfaitement son sujet, exprimant l’urgence qui anime le drame en train de se jouer. Deux plans se télescopent au long du poème : d’une part, celui de la chasse, de la proie, des prédateurs : Sous les lustres de cristal, on servait faisans farcis, perdrix, bécasses./On consommait ces chairs dans de la porcelaine./Avec des fourchettes d’argent./En entremets, morceau de choix, ma virginité./ ; et, d’autre part, le plan religieux, manifesté par des signifiants qui le rendent palpable : le Père, Ursule sans pardon, une sainte, immaculée, absoute, cierges et aussi : Le paradis./Une sombre geôle./Des bêtes rôdent dans les couloirs./ etc.
Hoex a très bien saisi ce qui constitue le ressort intime de la logique perverse : le renversement des valeurs dans le contraire, là où l’innocence devient suspecte, coupable, hantée d’un trouble ambigu, Une sainte-nitouche certainement./Enflée de pensées troubles./, devient un crime, une perdition : Cela les insultait. Leur crachait à la face./Cette ingénuité./Cet état de grâce./Un outrage, grognaient-ils./Il fallait qu’ils frappent.//Me sauver, ils y parviendraient./Me guérir de ma folie./À coups de reins, juraient-ils, ils chasseraient le démon.
Car, selon le pervers, le remède à cette imposture de la vertu consiste justement dans la jouissance du sexuel infligée à la victime qui, faussement ingénue, attendrait secrètement d’être « guérie » de ce mal que constitue la pureté d’une âme et d’un corps. La violence sera le bon traitement contre ce soi-disant mensonge. Mais, en réalité, l’imposture est bien du côté du pervers pour qui la seule valeur est l’impératif de la jouissance, celle-ci ayant, selon lui, le pouvoir de démasquer le faux et de révéler l’unique vérité, celle de la chair.
On sait combien la question de la cause des femmes et de la féminité concerne l’œuvre de Corinne Hoex. Sans la qualifier de « féministe », son œuvre nous rappelle que la féminité a d’abord à se définir en relation avec elle-même, « en soi » pour ainsi dire – et non dans un rapport de force avec le masculin. L’essence de l’être-femme se découvre dans la relation de celle-ci à son propre mystère : le présent poème nous redit à quel point l’énigme du féminin peut être vécue par le mâle comme une agression et devenir alors l’objet de représailles sadiques.
Le poème de Hoex, par son travail de sublimation, réaffirme l’ordre du langage et du symbolique : en dialogue avec son lecteur, il réactualise cette violence sur un mode sublimé et l’exorcise ; la littérature fait ici mémoire : elle nous rappelle que le règne de la force, de la jouissance et de la cruauté, menace toujours ce qu’il y a de fragile en nous : notre humanité même.

Philippe Lekeuche, Revue Europe, à paraître automne 2019


Prendre et donner la parole
Dans le poème un autre parle. C’est la loi de tout texte que nous lisons. Lire un poème, c’est écouter une voix qui parle, et qui est ou n’est pas celle du poète dont le nom figure sur la couverture du recueil ou au bas du texte. Un autre, un autre que vous, y parle dans sa propre langue. Certes, cette langue est aussi la nôtre, notre langue maternelle, le langage commun, les mots auxquels il recourt nous appartiennent aussi ; mais leur usage, leur sens, leurs connotations, leur teneur affective, s’ils nous restent perceptibles, accusent un écart, une distance, une singularité, qui manifestent dans cet espace qu’est le poème la présence et l’existence d’un autre.
À ce partage distancié que permet le poème concourent tous les aspects de la langue du poème. Songeons d’abord au lexique. Les mots du poète, lorsqu’il ne les invente pas, sont les nôtres. Mais dans l’emploi de tout mot réside une sourde violence, celle qui est faite aux mots et au sens : c’est au niveau atomique du mot que se joue déjà le défi de l’intercompréhension. Le signifié du mot-signe ouvre une faille. Le poète m’offre mais aussi m’impose son sens du mot ; il m’impose de le découvrir, le reconstruire, le déduire du reste du texte — le vers, la phrase, le poème tout entier. Écart déjà, entre la nuance ou le champ sémantique d’un mot pour lui et pour moi. Cette condition inhérente à la communication, c’est dans le poème qu’elle se joue de la façon la plus aiguë, la plus cruciale, la plus riche souvent.
Mais que se passe-t-il si le poète ne prend pas mais donne la parole, s’il la donne à autrui, un second autre dont il se fait le porte-parole ? Une double distance surgit-elle alors ? du sujet muet mais assumé par le discours du poète à la langue de celui-ci, puis de celle-ci à la mienne ? Le poète, truchement plus que source, en devient-il un medium en charge d’un sens qu’il partage et transmet ?
Parler pour. Somme toute, le premier mot de la langue qui soit impliqué par cette question est le pronom personnel de la première personne. Nous avons déjà posé la question : qui dit je dans le poème ?
Le dernier livre de poèmes de Corinne Hoex ressortit à sa forme la plus personnelle, la mieux adaptée aussi à son désir de dire. Son minimalisme est tout à la fois radical et substantiel : il y entre un certain baroquisme, qui se nourrit des mots, justement ; et le contraste entre la simplicité immédiate d’une syntaxe réduite à l’os et le poids spécifique des mots qui s’y insèrent est précisément ce qui produit cet effet baroque.
Frapper. / Petite pouilleuse. / Claque-faim.  / Va-nu-pieds. / Voleuse. / Frapper. / Petite miséreuse. / Collectionneuse de raclées.
Substantifs, infinitifs ; pas de sujets, pas de verbes personnels ; un point définitif au bout de chaque vers, de chaque mot, presque. C’est une langue. Mais la langue de qui ? S’y combinent trois voix au moins : celle de la victime, jeune femme ou petite fille à laquelle Corinne Hoex donne la parole, mais aussi les mots dont les hommes accablent les femmes, restitués par cette première puis cette deuxième voix. Ce sont ces strates lexicales et affectives qui confèrent leur violence aux vocables. Et la simplicité syntaxique de la langue ne fait qu’en souligner l’abyssale profondeur. Rien de plus violent que ces points finals.
Les six sections d’Et surtout j’étais blonde font ainsi parler, chacune, un être-femme, un être-fille qui se crée une langue pour dire la violence faite aux femmes par les hommes : regards, insultes, viols, incestes, mariages forcés, domination. Deux violences convergent et fusionnent dans les mêmes textes et dans le même moment de la lecture : celle-ci explicite, celle-là, plus sourde, faite aux mots par les mots, au lecteur par le récit. Au premier chef, redisons-le, c’est le pronom je qui en est le foyer : lecteur, que ressens-tu lorsque tu lis je dans un poème et que ce sujet-locuteur dit sa douleur ou sa colère de victime ?
Dans la dernière section, intitulée « Gloire », celle qui dit je se décrit en chrysalide ouvrant ses ailes de papillon à la vie, pour se retrouver « piquée dans une plaque de liège » par les hommes. La double métaphore — le papillon épinglé — dans sa violence, renvoie au langage des hommes lorsqu’ils nomment les femmes et, par les mots mêmes, les jugent, les classent, les humilient, les oppriment et les nient. Ces mots masculins que, précisément, rapporte chaque voix de femme ou d’enfant qui parle dans les sections précédentes sont littéralement des épingles qui les clouent sans rémission. À ce titre, une figure traverse ces discours rapportés sans adresse, ces monologues virulents, celle du Père (avec une majuscule).
Est-ce à dire que tout le recueil n’est qu’une charge contre les prédateurs, un plaidoyer pour leurs victimes ? Plus subtilement, et toujours à travers l’ambiguïté et la violence des mots, Corinne Hoex laisse entrouverte la question, non de la part prise par les femmes, mais de leur place réelle dans une telle configuration de la société et des relations entre les sexes : « Volupté de l’épingle qui me choisit », écrit-elle — ou fait-elle dire à une de ses locutrices. Et :
C’est l’automne. / Tu marches dans le sentier. / Tu es une petite fille. / Il te regarde. / Au bout du sentier il y a les balançoires. / Le sang du plaisir à tes joues.
Pour une fois, un tu, non un je. Mais qui interpelle ce tu ?
C’est, évidemment, la vie même des femmes qui est mise en cause dans le discours et la domination des hommes, à travers leur plaisir. Corinne Hoex écrivit naguère Le Ravissement des femmes. Les mots toujours.

Gérald Purnelle, La Revue générale, n° 4, juin 2019

Belle, blonde, jeune, vierge : tout ce que l’on respecte, un genou en terre, croit-on ; tout ce qui se prend, se dévore, se massacre, comprend-on. Parce que la blondeur est insupportable, parce que l’innocence insulte le prédateur, parce que dans un monde où sexe et violence sont rois, la virginité est une folie dont il faut « sauver » celles qui l’ont conservée. Entre sainte et sainte-nitouche, la frontière est fragile. Regarder dans les yeux peut être candeur ou orgueil.
La force de ces courts poèmes tient d’abord à la confrontation brutale de thématiques tour à tour joyeuses et violentes. Dans les yeux des prédateurs, nous sommes sur le terrain du plaisir, la gastronomie, la fête foraine, la célébration religieuse. Dans le ressenti de la victime, la violence est insoutenable. Dévorée avec une fourchette d’argent. Frappée comme la cible de la fête foraine. Blessée comme la martyre par les archers. Piquée comme le papillon sur une plaque de liège. Les images discrètement phalliques évoquent la piqûre — fourchette, flèche, épingle — et renvoient à un imaginaire à la fois sanglant et délicat. On voit, au départ, la brutalité d’un viol, mais les sections évoquent les fiançailles, les noces, ces ritualisations du viol par consentement social qui nous obligent à réfléchir au-delà du fait-divers. Les images du bonheur promis mènent la martyre à un glorieux paradis, mais celui-ci n’est qu’une sombre geôle où les fauves sont à l’affût. Elle ne leur échappera qu’en acceptant le sort du papillon piqué sur le liège — « Volupté de l’épingle qui me choisit ».
L’écriture épurée à l’extrême est glaçante de concision. Des infinitifs, des substantifs, décochés comme des flèches, repris comme une litanie. Parfois, une image se détache, une expression lénifiante semble donner chair aux notations laconiques : elles n’ouvrent que sur une barbarie plus terrible. Songe-t-on au vieux cliché d’un oiseau pour le chat : « Les griffes leur sortaient des yeux ». Voit-on au loin les balançoires ? « Le sang du plaisir à tes joues » : il va bientôt couler. Des refrains internes évoquent les chansons de Maeterlinck, les litanies de la Vierge : ils sont terriblement ambigus — « ma petite chérie », « tu ne bougeras pas »… Un recueil très court, car le vol de la flèche est vif comme l’éclair, mais qui nous épingle à notre culpabilité de mâles.

Jean-Claude Bologne, Lectures récentes, avril 2019

Corinne Hoex revient ces jours-ci avec un nouvel opus poétique bellement illustré par la jeune graphiste française Marie Boralevi (1986), Et surtout j’étais blonde (Liège, Tétras Lyre), dans lequel apparaît en filigrane, avec ce talent qui lui est si particulier d’aborder l’horrible – ici, l’inceste et le viol, thèmes lancinants de son œuvre – avec des mots ciselés, subtils et allusifs. […] Époustouflant…

Bernard Delcord, Lire est un plaisir, Homelit (partenaires de Radio Nostalgie), Satiricon.be, newsletter et site des Guides Delta, avril 2019


Nous suivons avec beaucoup de plaisir et d’intérêt le parcours d’écriture de Corinne Hoex depuis plus de dix ans, alternant romans et poèmes, fictions et textes plus personnels, évoquant avec constance la féminité, la sensualité, l’érotisme au féminin mais aussi les regards et les menaces des prédateurs, et les violences faites aux femmes, y compris au sein de la famille. 
Et surtout j’étais blonde nous mène plus sur le versant de la violence, comme un lointain écho poétique à Ma robe n’est pas froissée, un texte bouleversant paru en 2008.
Les illustrations de Marie Bolarevi, collages en noir et blanc, évoquent les troubles relations entre la Belle et la Bête, les mains attachées face aux mains armées, le corps criblé de flèches d’une Ursule convoitée par Attila… Elles rythment de manière très expressive et riche en émotion le passage à chacune des six parties du texte.
Etat de grâce, évoque l’innocence, la virginité, la beauté, la blondeur mais aussi la violence et le désir fou que ce jeune corps provoque chez les prédateurs. Seins menus. / Hanches hautes. / Corps étroit d’adolescente. / Un oiseau pour le chat, bavaient-ils. / Les griffes leur sortaient des yeux. Trop belle pour être honnête. Une sainte-nitouche certainement mais enflée de pensées troubles. Elle doit payer pour ses crimes supposés, pour sa façon de regarder les hommes dans  les yeux. Alors le massacre.
La deuxième partie fait de cette petite traînée une attraction de fête foraine, la cible de toutes les envies, toutes les insultes et toutes les agressions. C’est une voleuse, une petite vicieuse, qu’il faut punir pour sa beauté troublante, pour sa blondeur provocante. Il faut frapper, frapper fort.
Dans Fiançailles, on lui demande même des excuses. Les archers sont autour de toi. / Tu ne bougeras pas. / Leur œil te mesure. / Tu ne bougeras pas. / Arc bandé, ils t’encerclent. / Avant d’être venue me demander pardon.
Si elle refuse de se soumettre, son corps sera criblé de flèches comme celui d’Ursule refusant d’épouser Attila.
Noces offre un retour vers l’enfance, la relation ambiguë entre le père et la petite fille. Au bout du sentier il y a les balançoires. / Oh ma chérie. / Ta robe vole. / Il te regarde. / L’odeur du sang te fait tourner la tête. Cette attention du père, ses regards, la tendresse de ses mots, Ma chérie. Ma petite chérie, est-ce le paradis pour elle ?
La partie suivante, Les hôtes, donne une image moins idyllique de ce paradis qui n’est, en fait, qu’une sombre geôledes bêtes rôdent dans les couloirs, une basse-fosse où des bêtes grognent dans le noir. Un paradis illusoire et menaçant malgré les propos plus inquiétants que rassurants du père : Je serai là, ma chérie. Je serai toujours là.
La dernière partie, Gloire, reprend ce thème de la jeune fille trop belle et trop blonde que tous les prédateurs guettent sous le fallacieux prétexte de la protéger du monde. Il est difficile pour le papillon naissant de déplier ses ailes hors de la chrysalide quand le collectionneur ne rêve que de possession exclusive. Les ailes ouvertes. / Bien entendu, vous aurez les ailes ouvertes. / Piquée sur une plaque de liège. / Sous une vitre. / Au-dessus du lit.
Corinne Hoex et Marie Boralevi nous offrent là un très beau recueil à lire, relire et méditer, mêlant étroitement, paradoxalement, la tendresse et la violence, l’innocence et la culpabilité, la relation morbide entre le chasseur et la proie, quand le prédateur se dit protecteur, pour mieux enfermer sa victime, la priver de liberté, la couper du monde, la garder pour lui comme une araignée emprisonnant une mouche dans un fil de soie. Une réflexion tout à fait d’actualité soutenue par une écriture forte et belle, dont les mots précis touchent les cibles avec efficacité, dont les images s’impriment dans la mémoire. La lame s’enfonce dans ta chair vive.
Oh ma chérie. / Taille les tendres filets. / La part du Père.

Serge Cabrol, Encres vagabondes, 15 mai 2019

La poésie peut s’avérer revendicatrice et engagée […] En six évocations courtes, Et surtout j’étais blonde évoque l’acharnement pour briser l’innocence et la beauté, la peur, l’amour abimé, les rituels oppressants, le visage du Père (qu’il soit géniteur, époux ou Dieu), le chemin qui mène lentement à ce qui est appelé le paradis et qui, pourtant lui aussi, ressemble à une basse-fosse.
Les vers sont magnifiques, chargés de souffrance, avec un ton ironique et dramatique qui invite au positionnement. De l’enfance à l’âge mûr et sous forme de comptines acérées, la prédation masculine est fustigée, avec pour toile de fond le saccage de la blondeur, connotation de candeur et de pureté. J’étais belle. / Et surtout j’étais blonde. / Et jeune. / Et vierge. De la sorte s’ouvre ce chant douloureux !

Daniel Bastié, Bruxelles Culture, 15 avril 2019

Poignant, écrit au scalpel, le dernier livre de Corinne Hoex, paru au Tétras Lyre : Et surtout j’étais blonde. […] Le grand art est de décrire ce qui « frappe », ce qui déroge à toute tendresse, puisque la victime, approchée, exhibe son innocence, sa candeur, sa pureté et qu’on la massacre impunément. […] Le style de Corinne Hoex résume plusieurs tensions : dire beaucoup sans que l’ellipse apparaisse comme une espèce de squelette desséchant. Au contraire, les infinitifs, les vers maigres, la ponctuation sèche, les énoncés condensés à l’extrême donnent à la rythmique de cette poésie son essence : l’économie verbale relaie exactement le manque, la blessure, l’arrêt ; la concision rappelle l’incision ; le mot s’arrête comme un tranchant. Les vers très brefs, les poèmes denses (jamais au-delà de 10 vers) mettent à nu la blessure et les affres. […] Un grand livre, en dépit de sa relative brièveté.

Philippe LeuckxNos Lettres, mars 2019, et Terres de femmes, printemps 2019


Corinne Hoex demeure inébranlablement elle-même. Avec une ardeur dévorante, elle raconte son drame avec une simplicité anodine d’apparence. Elle fait preuve d’une certaine fierté aristocratique face à la bassesse. Aucun envol dans l’imaginaire, elle décrit une cruelle réalité, sans allonger la sauce. Sa poésie relève de l’épure sans avoir recours à la virtuosité verbale. Son instinct l’oblige à une récapitulation d’éléments tristement réels sans laisser de côté une virtuosité juvénile, ennoblie de simplicité en filigrane. Un moi narrateur demeure omniprésent, souvent désespéré — mais encore plein de vitalité — et l’on se pose des questions. Et surtout j’étais blonde semble être l’œuvre d’une solitaire envahie par un besoin impératif de communiquer : Leur noctuelle, rêvaient-ils dans le soir. / Leur douce noctuelle. / Pour eux  je me jetais dans la flamme. / Me consumais à la chandelle. / Ils écoutaient le grésillement.
Corinne Hoex est une prodigieuse voleuse de feu. Les illustrations fantasmagoriques de Marie Boralevi témoignent de la trace du geste noble.

Marc Danval, The Brussels Magazine, n°391, avril 2019